Protéger l’enfant pour lutter durablement contre les violences intrafamiliales
- Institut WOMEN SAFE
- 19 nov.
- 7 min de lecture
À travers une approche innovante mêlant accompagnement interdisciplinaire, prévention et plaidoyer, le réseau Women Safe & Children entend redonner à chaque enfant une place centrale pour les protéger des violences intrafamiliales. Entretien avec Frédérique Martz, Présidente du réseau sur l’approche défendue par Women Safe & Children, sur les actions mises en place, et sur une vision qui protège la mère tout autant que l’enfant.
Notre mission : protéger aujourd’hui pour reconstruire demain
Pouvez-vous nous rappeler en quelques mots la mission de Women Safe & Children ?
Frédérique Martz : Women Safe & Children, réseau d’associations créé il y a plus de 10 ans, accueille et protège les femmes et enfants victimes de violences, en combinant soins médicaux et psychologiques avec un accompagnement juridique et social. Nos actions reposent sur une singularité et un socle de valeurs fortes : une approche intégrée, humaine et résolument engagée.
Qu’est-ce qui vous a poussée à créer Women Safe & Children ?
FM : Trop de victimes étaient isolées et laissées sans accompagnement. L’idée était de créer un lieu unique et sûr, où elles sont écoutées, soignées et soutenues sans rupture entre les différents types d’aide. C’est la volonté de réparer autrement, d’agir concrètement et de rétablir la dignité de ces victimes qui a guidé la création de la première association en 2014.
Comment le réseau a-t-il évolué depuis sa création ?
FM : Créé en 2014 pour accueillir les femmes victimes de toutes formes de violences dans les Yvelines, Women Safe & Children est aujourd’hui un réseau national présent également en Haute-Savoie, dans le Finistère et en Corse. Depuis 2017, Women Safe & Children a élargi son accompagnement pour inclure, aux côtés des femmes, les enfants et les adolescent·es, en intégrant une approche globale du système familial et de ses dynamiques relationnelles
En parallèle de l’accompagnement des victimes, nous menons des actions de prévention, de conseil et de formation à travers l’Académie Women Safe & Children. En collaboration étroite avec nos partenaires institutionnels et privés, ces initiatives visent à renforcer les connaissances, changer les pratiques professionnelles et mieux protéger les femmes et les enfants face aux violences.
Briser l’isolement des enfants victimes de violences
À quel moment l’accompagnement des enfants a-t-il été intégré aux missions du réseau et pour répondre à quels enjeux ?
FM : Depuis 2017, nous avons constaté que, dans le cadre des violences conjugales, les enfants et les adolescent·es sont eux aussi des victimes à part entière — qu’ils en soient directement ou indirectement exposés. La loi française reconnaît désormais ce statut : selon l’article 515-10 du Code civil, l’enfant exposé à des violences conjugales est considéré comme une victime directe ou indirecte de ces violences, au même titre que le parent ciblé. Protéger, écouter, recréer un cadre sécurisant : notre approche vise à répondre à la souffrance propre, à prévenir les effets durables des violences sur leur développement et leur sécurité, et à soutenir la reconstruction familiale.
Les chiffres 📊 51 764 victimes mineures de violences physiques commises dans un cadre intrafamilial sont concernées par une plainte en 2023. 19 492 victimes mineures de violences sexuelles commises dans un cadre intrafamilial sont concernées par une plainte.
En quoi cette approche diffère-t-elle des pratiques plus traditionnelles ?
FM : Traditionnellement, les structures se concentraient soit sur l’adulte victime, soit sur l’enfant, rarement sur la dynamique globale de la famille. Chez Women Safe & Children, nous proposons un accompagnement interdisciplinaire et systémique des enfants, inscrit dans la durée pour soutenir leur reconstruction à chaque étape de leur développement.
Il s’agit donc :
D’associer les parents non violents ou les référents familiaux de confiance dans les parcours.
D’articuler les actions avec l’ensemble des institutions éducatives, sociales et judiciaires.
De créer des parcours d’accompagnement cohérents et continus, sans rupture entre les âges ou les dispositifs.
Peut-on dire que l’enfant est enfin reconnu comme une victime à part entière ?
FM : Progressivement, oui. La société et le droit évoluent pour reconnaître l’enfant comme victime directe de violences intrafamiliales. L’enfant qui grandit dans un cadre où s’exercent des violences en est la victime dans tous les cas. Il n’a pas besoin d’être visuellement témoin pour être impacté par les violences : il peut entendre, sentir, subir les répercussions et les tensions de la violence.
Quels bénéfices concrets observez-vous pour les enfants et leurs mères ?
FM : Women Safe & Children répond à un enjeu majeur de santé publique concernant la prise en charge des psychotraumatismes des enfants victimes de violences. En effet, intervenir dès les premiers signes de vulnérabilité chez les enfants peut contribuer à prévenir des situations de détresse et à favoriser leur développement optimal, garantissant ainsi leur épanouissement futur.
Les enfants dont les traumatismes sont pris en charge précocement disposent de meilleures chances de développer leur résilience et de reconstruire progressivement la confiance en eux et envers les autres. Les mères, quant à elles, retrouvent un sentiment de sécurité renforcé, parviennent à se libérer plus aisément de la culpabilité et réinvestissent leur pouvoir d’action au sein de la vie familiale. L’accompagnement systémique renforce ainsi la protection globale de la famille et permet un véritable travail sur les enjeux de la parentalité.
Notre logique : co-construire des réponses avec nos partenaires Notre approche systémique des violences nous conduits à prendre en charge des enfants, qu’ils accompagnent leur mère ou qu’ils soient orientés par l’ASE, en nous appuyant sur une dynamique partenariale renforcée. Cela nous permet d'assurer une coordination étroite des interventions, en veillant à ce que tous les professionnels travaillent ensemble et en proposant des synthèses trimestrielles adaptées aux besoins spécifiques de l’enfant.
Une approche interdisciplinaire pour une prise en charge globale
Quelles sont les innovations majeures mises en place pour accompagner les enfants ?
FM : L’enfant bénéficie d’une prise en charge globale et gratuite intégrant les aspects médicaux, psychologiques, sociaux et juridiques. Il nous semble essentiel de prendre en considération tout l’écosystème de l’enfant (parents, fratrie, environnement, école, etc.).
🗨️ La parole à Maeva, avocate bénévole pour Women Safe & Children Finistère 👉 “Après quelques mois de bénévolat, je peux d’ores et déjà témoigner d’une chose : Women Safe & Children se démarque par son approche, ses actions sont essentielles et sa plus-value indiscutable. Une conviction collective, une mobilisation interdisciplinaire, un combat commun au service du mineur victime dont les besoins doivent être sérieusement et efficacement pris en considération au-delà des barrières économiques, sanitaires et judiciaires. Un engagement profond ayant pour priorité absolue l’intérêt supérieur du mineur, principe phare de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui ne devrait jamais être perdu de vue.”
Comment vos équipes travaillent-elles ensemble pour assurer une prise en charge cohérente ?
FM : Nos équipes interdisciplinaires — psychologues, éducateurs, juristes, médecins et infirmières — se réunissent en « staff » à l’issue de chaque permanence afin d’analyser collectivement chaque situation. Un plan d’accompagnement personnalisé est alors élaboré, dans lequel chaque professionnel·le connaît le rôle et l’intervention des autres. Lors de ces échanges, les décisions prises pour l’enfant sont évaluées afin de s’assurer qu’elles respectent ses besoins fondamentaux, ses demandes et son intérêt supérieur.
Lorsque cela s’avère nécessaire, les éléments sont transmis aux partenaires concernés pour garantir une prise en charge adaptée et concertée. Cette coordination permet d’offrir un accompagnement continu, cohérent et véritablement centré sur les besoins de l’enfant et de son environnement.
Focus sur les groupes de paroles dédiés aux mineur.e.s 🙋 Women Safe & Children Yvelines organise des groupes de parole coanimés par une éducatrice spécialisée et une psychologue enfants, pour les trois à six ans une fois par mois. L’objectif ? Leur permettre de travailler des thématiques comme les émotions, l'intimité, le rapport au corps mais aussi d'évaluer les interactions sociales entre les enfants, leur capacité à répondre à des consignes simples, le respect du cadre. Un groupe animé par le même binôme de professionnels est également dédié aux adolescents pour leur donner des clefs d'explication autour de l'impact du psycho-trauma en s'appuyant sur les neurosciences et travailler la déculpabilisation.
Des avancées significatives, des évolutions encore nécessaires
Quelles évolutions souhaitez-vous voir dans les politiques publiques ?
FM : Les évolutions législatives renforcent les droits des enfants, mais il est urgent de les traduire en actions concrètes : accès prioritaire à la protection, accompagnement psychologique dès le premier signalement et formation obligatoire des professionnels. Il est également nécessaire de préconiser des moyens humains, matériels et méthodologiques adaptés pour assurer une prise en charge efficace et coordonnée.
Constatez-vous des avancées ?
Le plan de lutte contre les violences faites aux enfants, adopté en 2023, marque une avancée majeure. Il est crucial d’agir en amont, via des programmes de prévention dans les écoles, des programmes de sensibilisation des professionnels de santé et des dispositifs internes dans les entreprises et associations pour prévenir, signaler et traiter les violences.
Mais nous plaidons également pour une coordination renforcée entre la justice, la santé et les services sociaux, afin que l’enfant ne soit jamais isolé dans son parcours de protection. Trop souvent, sa parole reste en marge ou insuffisamment entendue. Écouter l’enfant, accueillir sa demande et prendre en compte son ressenti doivent devenir des principes essentiels de toute intervention. Sa sécurité, son bien-être et son développement doivent être garantis à chaque étape, et sa situation connue de l’ensemble des acteurs pour assurer un suivi cohérent et une réelle efficacité des mesures mises en place.
Focus sur les journées bien-être 💆 À la demande des adolescentes suivies par Women Safe & Children Corsica, une journée bien-être a été organisée en mars dernier. Au programme : coupes et brushings proposés par Deborah, manucures par Céline, réalisation d'une fresque, séance photo individuelle et en groupe… Un temps précieux pour prendre soin de soi, (ré)apprendre à se regarder et à aimer son reflet ou tout simplement profiter d'un moment d’échanges dans un cadre serein et confidentiel.
Quels sont les prochains défis ou projets pour renforcer la place des enfants ?
FM : Women Safe & Children souhaite prioriser son installation dans les zones péri-urbaines et rurales, souvent mal desservies par les services de soutien, comblant ainsi un besoin crucial dans ces territoires. L’usage du “aller vers” est de plus en plus préconisé, nécessitant cependant des moyens (mobilité, disponibilité des professionnels ...).
Chaque don fait la différence, et pour aider Women Safe & Children a poursuivre sa mission, le réseau d'associations a besoin de votre soutien. Vous souhaitez vous engager à nos côtés ? Rendez-vous ici.
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