Elisabeth Giguelay (Haute-Savoie), Benoit Lemaire (Corse) et Noëlla Arnaudo (Yvelines), directeurs des associations Women Safe & Children regroupées au sein de l'Archipel Wo.men Safe*, livrent un panorama des réalités et des défis auxquels leurs structures sont confrontées au quotidien.
*L'Archipel Wo.Men Safe structure, coordonne et développe le réseau national d'associations Women Safe & Children, avec une attention particulière pour les zones prioritaires et rurales.
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours jusqu’à la direction de l'association Women Safe & Children de votre région ?
Noëlla Arnaudo : Je m’appelle Noëlla, je suis infirmière puéricultrice, forte d'une riche expérience à l'Aide Sociale à l'Enfance des Yvelines et en Protection Maternelle et Infantile. Mon engagement découle d'une prise de conscience aigüe des violences subies par les femmes et les enfants, fléaux dont les conséquences néfastes impactent profondément leurs vies mais aussi l'ensemble de la société.
Elisabeth Giguelay : Je suis Elisabeth Giguelay, Directrice Women Safe & Children Haute-Savoie depuis sa création, en 2021. Mon engagement associatif de longue date m'a amenée à créer un groupe de réflexion sur les violences faites aux femmes, alors que j’étais première adjointe au Centre Communal d'Actions Sociales de Publier. C'est là que j'ai rencontré Anne-Cécile Violland et Sébastien Caquelard, porteurs du projet Women Safe & Children en Haute-Savoie.
Benoit Lemaire : Je travaille dans le secteur social depuis plus de 35 ans, avec des engagements professionnels dans de nombreux secteurs (le handicap, l'écoute et la prévention des maltraitances envers les personnes âgées, la formation des soignants, l'alphabétisation). Je dirige Women Safe & Children Corsica depuis bientôt deux ans, mais je suis impliqué dans cette association depuis sa création en février 2022.
Quelles sont les spécificités de la prise en charge des femmes et des enfants victimes de violences dans votre région ?
Elisabeth Giguelay : En Haute Savoie, la question de la mobilité est centrale. L'enclavement géographique et l'éloignement des grands centres administratifs constituent des obstacles importants pour les victimes. En outre, la situation des femmes et des enfants victimes de violence dans la zone frontalière Suisse est marquée par une double peine : le coût exorbitant du logement et le manque criant de solutions d'hébergement d'urgence. La situation est critique dans le Chablais, où le seul hébergement d'urgence dédié aux femmes victimes de violence, « La Passerelle » à Thonon-les-Bains, est saturé. La solution reste le 115 qui oriente les femmes vers des structures situées à Annecy, à 80 km de distance, ce qui représente un obstacle supplémentaire considérable.
Benoit Lemaire : La prise en charge des victimes de violences en Corse présente aussi plusieurs particularités. Premièrement, la nature insulaire et rurale de la région entraine des difficultés d'accès aux services dédiés. C'est pourquoi nous défendons l'importance d'une prise en charge pluridisciplinaire regroupée en un seul lieu, afin d'offrir un soutien complet et accessible à nos bénéficiaires.
Noëlla Arnaudo : L'association Women Safe & Children Yvelines accueille aujourd'hui des femmes victimes de violence en provenance de toute l'Île-de-France. Malgré la proximité de Paris et sa forte concentration urbaine, nombre d'entre elles se trouvent complètement isolées et confrontées à des situations difficiles. L'une des principales difficultés est l'accès à un soutien psychologique adéquat. La pénurie de professionnels et les délais d'attente interminables, même dans le secteur privé, plongent les victimes de violence dans un isolement et une grande détresse. Cette situation est préoccupante dans une région comme l'Île-de-France, densément peuplée et où l'on pourrait s'attendre à une offre de soins plus conséquente.
Comment accompagnez-vous les femmes et les enfants victimes de violences ?
Benoit Lemaire : Nous proposons un accompagnement individualisé, pluridisciplinaire et totalement gratuit aux femmes, aux enfants et aux adolescents victimes de violences : des entretiens psychologiques, des consultations juridiques, un accompagnement dans le domaine de la santé et du social, divers ateliers d'expression corporelle et psychomotrice pour les enfants et les femmes, etc.
Noëlla Arnaudo : C'est par téléphone ou via le site internet de l'association que les futurs bénéficiaires prennent contact avec nos équipes. Pour les enfants et les adolescents, l'Aide Sociale à l'enfance joue également un rôle crucial dans l'orientation vers Women Safe & Children. Dès leur arrivée, les femmes et les enfants bénéficient d'un accueil infirmier chaleureux et bienveillant. Une évaluation personnalisée permet de cerner leurs besoins spécifiques, qu'ils soient d'ordre somatique, psychologique et/ou juridique. L'association propose aussi des parcours collectifs de reconstruction et des cercles de parole. Des ateliers thérapeutiques divers, comme l’a souligné Benoit, tels que la socio-esthétique, le sport ou l'art-thérapie, viennent compléter notre dispositif d'accompagnement global. En ce qui concerne la création du Pôle Mineurs, elle a été motivée dès 2017 par le constat d'un manque criant de prise en charge spécifique pour les enfants et adolescents exposés aux violences, alors désignés comme "témoins". Ces jeunes manquaient d'un espace d'écoute et d’une prise en charge médico-psycho-socio-juridique immédiate et gratuite, adaptée à leurs besoins, tant exprimés que non exprimés.
Elisabeth Giguelay : Comme le précise Noëlla, nous adoptons la méthodologie éprouvée "Women Safe & Children" qui place l’approche qualifiée de « systémique » des violences au cœur de son protocole de soin et de reconstruction. Cette approche nous permet d'appréhender les violences dans leur globalité, en tenant compte de leurs répercussions sur l'individu mais aussi sur son entourage et son environnement. Car derrière chaque femme victime peut se cacher un ou des enfants blessés, dont les traumatismes nécessitent une attention particulière.
Avez-vous mis en place des actions de sensibilisation et de prévention ?
Elisabeth Giguelay : Prévenir pour mieux protéger est au cœur des actions du réseau Women Safe & Children ! Nous menons régulièrement des actions de sensibilisation auprès des jeunes, en collaboration avec des établissements scolaires. Très récemment nous sommes intervenus au collège des Rives du Léman à Évian. L'éducation sexuelle, le consentement, les limites personnelles, la reconnaissance des violences et la réaction en tant que témoin font partie des sujets que nous abordons avec les jeunes. Ces thématiques, délicates, sont capitales pour leur permettre de développer des relations saines et respectueuses.
Benoit Lemaire : Oui, nous menons des actions de sensibilisation et de prévention auprès du grand public et des plus jeunes. Nous organisons régulièrement des ciné-débats, des soirées littéraires et artistiques avec le Pôle Culture de Women Safe & Children. Nous intervenons aussi en milieu scolaire. Nos interventions s'appuient sur un dialogue ouvert et bienveillant, favorisant l'échange et la prise de parole.
Noëlla Arnaudo : Notre engagement en matière de sensibilisation s'inscrit dans une démarche globale de prévention des violences. Nous sommes également actifs au sein des universités d’Ile-de-France. Nous proposons, par exemple, des mises en situation réalistes et des outils pratiques pour que chacun puisse mettre en œuvre les connaissances acquises. Apprendre à identifier les comportements abusifs, savoir réagir face à une situation dangereuse : notre objectif est de donner à chacun des clés pour construire une société plus respectueuse, plus juste et plus sûre !
Collaborez-vous avec d'autres acteurs locaux pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants ?
Elisabeth Giguelay : C’est indispensable. Nous collaborons et échangeons beaucoup avec les Hôpitaux du Léman, le Conseil départemental, les assistantes sociales, la Caf et les services de Police et de Gendarmerie.
Benoit Lemaire : Oui, nous collaborons avec de nombreux acteurs locaux, tels que les services publics, les associations d'aide aux victimes, les professionnels de santé, de la justice et les établissements scolaires.
Noëlla Arnaudo : Nous avons un partenariat très fort avec les services départementaux : Services sociaux, centres de protection maternelle et infantile, services de protection de l’enfance, centres de santé sexuelle et les différents réseaux VIF organisés sur le territoire. Nous sommes également en lien avec les services de police. Nous n’hésitons pas à solliciter d’autres associations de notre territoire qui accompagnent les victimes de violence. D’ailleurs nous bénéficions, dans nos locaux, d’une permanence CIDFF et DIRE.
Quel bilan tirez-vous de l'action de votre association sur le terrain ?
Elisabeth Giguelay : Les témoignages des femmes que nous accompagnons sont précieux. Elles nous font part de l'impact positif de notre accueil pluridisciplinaire et des ateliers sur leur bien-être. Elles évoquent le fait de se sentir moins seules, plus fortes et reprennent confiance en elles. Elles retrouvent l'espoir et la force de se reconstruire, étape par étape. Depuis le début de l'année 2024, nous avons accueilli 54 femmes et 18 mineurs. Si ces chiffres témoignent de l'ampleur du problème des violences, ils illustrent également notre engagement à leur apporter un accompagnement global et de qualité.
Benoit Lemaire : En moins de deux ans, Women Safe & Children Corsica a déjà accompagné plus de 80 femmes et enfants, ce qui correspond à plus de 600 entretiens individuels pluridisciplinaires. Dans le même temps, Women Safe & Children Corsica a mené plus d'une vingtaine d'actions de prévention et de sensibilisation auprès du grand public, des professionnels de terrain, des institutions, des élus locaux. Ces actions contribuent à faire bouger les lignes et évoluer les mentalités.
Noëlla Arnaudo : Le bilan est très positif. Les femmes trouvent chez nous un espace de reconstruction sécurisant et accessible grâce à la gratuité totale des soins. Notre accompagnement s'étend jusqu'au retour à l'emploi. En dix ans, l’association des Yvelines a accompagné plus de 5 600 femmes et 450 enfants et adolescents.
Propos recueillis par Annabelle Baudin pour Women Safe & Children
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